Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/220

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il est propre, régulier, lisible ; bien que ses interlignes soient plutôt restreintes, il apparaît au compositeur comme une bonne fortune exceptionnelle. Mais l’esprit est rapidement déçu : un examen même superficiel révèle des défauts multiples qui feront le désespoir du correcteur, parce que le typographe aura « suivi sa copie » : divisions fantasques, capitales multiples, accentuation omise, guillemets anglais (cette « vilaine chose » que le Français constitue à l’aide de virgules et d’apostrophes disparates), abréviations incessamment modifiées et renouvelées de coutumes antiques, latin et titres d’ouvrages jamais différenciés, points et virgules indifféremment employés, transpositions nombreuses de lettres qui font parfois de l’expression la plus simple, du mot le plus courant, un incompréhensible galimatias, etc. S’il n’est irréprochable, le manuscrit machine — que trop fréquemment le patron ou le prote refusent ou négligent de « faire préparer » — est une plaie douloureuse dont le correcteur souffrira tout le jour et dont il vouera l’auteur aux gémonies. Plutôt supporter les fantaisies d’un calligraphe médiocre que les escapades d’un apprenti dactylographe ! Le premier travail de la composition typographique ne saurait autant défigurer le manuscrit de l’écrivain ; le correcteur serait certes honni, s’il reproduisait fidèlement un tel amas d’erreurs.

2° Que la copie soit l’œuvre d’un calligraphe est un événement si rare que cette aubaine compte dans la carrière d’un correcteur. La reproduction fidèle est aisée.

3° Parfois le manuscrit est quelconque : il paraît net ; cependant il offre çà et là maintes difficultés qui exercent la sagacité, qui mettent à l’épreuve le jugement du correcteur.

4° Mais trop souvent, hélas ! le manuscrit est illisible : pattes de mouche, pâtés, liaisons inimaginables, abréviations, licences scripturaires, il semble que l’auteur ait voulu accumuler en un même ouvrage, avec toute sa science, son… ignorance de l’art qu’à l’école lui enseigna maître Aliboron.

Nous ne pouvons supposer d’ailleurs qu’un écrivain ait le… courage de suivre ce conseil de Ménage : « Si vous voulez qu’il n’y ait point de fautes dans les ouvrages que vous ferez imprimer, dit-il, ne donnez jamais de copies bien écrites ; car alors on les donne à des apprentis qui font mille fautes ; au lieu que, si elles sont difficiles à lire, ce sont les maîtres qui y travaillent eux-mêmes. » Peut-être au