Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/221

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xviie siècle cette remarque était-elle plus avisée qu’elle ne le paraît de prime abord ; mais à notre époque d’apprentis et d’ouvriers trop peu lettrés et trop peu nombreux, combien d’imprimeurs seraient embarrassés si tous les littérateurs suivaient l’exemple de Ménage !

Quels efforts en effet parfois pour déchiffrer ces grimoires : le compositeur hésite, il tâtonne, il sollicite une explication ; il suit la lecture que le correcteur lui fait des passages, des mots les plus ardus ; parfois même, il accepte la mise au net d’une phrase particulièrement difficultueuse. Mais sa patience est de courte durée ; d’ailleurs, il faut produire, sous peine… Et aux fautes ordinaires de composition s’ajoutent bientôt les erreurs orthographiques, les licences (!) grammaticales ; de temps à autre, un blanc signale la place d’un mot auquel le typographe a renoncé à donner une forme raisonnable.

Là où le compositeur a échoué malgré son intelligence, le correcteur doit faire appel à toutes ses capacités. Son attention, soutenue par une acuité visuelle infatigable, doit être incessamment en éveil. Sans doute, les coquilles, les bourdons, les doublons, les manquements aux règles techniques n’échapperont pas à son œil exercé ; mais les homonymes, les mots de patois, de technique, de science, les noms douteux, les expressions particulières, les tournures de phrases propres à l’auteur ne devront point également mettre sa science en défaut. Le correcteur doit tout savoir ; le typographe en effet s’étonne d’une hésitation, même cent fois justifiée par les circonstances ; il s’émeut d’une « absence de mémoire », d’un oubli, du moindre manque de connaissances. Sur un manuscrit illisible, le correcteur risque sa réputation. Le compositeur le plus débrouillard a dû avouer son impuissance, mais le dernier correcteur venu doit affirmer sans hésitation son maigre talent et prouver sans ostentation qu’il est au moins nanti d’un mince bagage scientifique ou littéraire.

Non point qu’il soit nécessaire, dans ces circonstances, pour affirmer de manière incontestable que l’on est quelqu’un, de remettre des épreuves noires de corrections. La valeur du correcteur, on le verra ultérieurement, n’est point en raison proportionnelle de la quantité d’encre qu’il étale plus ou moins complaisamment sur des feuillets que le piéçard souhaiterait voir toujours immaculés. Plus une épreuve est chargée, plus grandes sont les chances d’erreurs, et plus lourde est la tâche d’assurer la reproduction correcte de la copie.