Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/249

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tous les traités de ponctuation seront toujours insuffisants : la ponctuation, à la différence de l’orthographe, n’est pas une question de mémoire. Celle-ci et celle-là s’enseignent pareillement ; mais, si l’une est en même temps affaire d’intelligence, de mémoire et d’étude, l’autre est exclusivement affaire d’intelligence et d’étude.

La ponctuation est encore une question d’individualité : « Le style est l’homme même », a dit Buffon ; c’est-à-dire le style est la propriété personnelle de l’écrivain. Ainsi en est-il, à notre sens, de la ponctuation. S’il est rare de voir deux auteurs — fussent-ils académiciens — ponctuer de façon absolument identique une phrase aux incidentes multiples, il est aussi peu commun de rencontrer deux correcteurs ayant sur ce sujet la même manière de voir et de… travailler. « Nous avons eu occasion de remarquer fréquemment combien peu les imprimeurs étaient d’accord sur la manière de ponctuer… », disait Bertrand-Quinquet, dans son Traité de l’Imprimerie[1].

Cette attitude est particulièrement regrettable. Elle est, pour le compositeur, la source de multiples déboires et de contestations sans fin ; elle est une cause de pertes de temps et, conséquemment, une perte d’argent pour le patron ; elle est enfin pour l’intéressé la raison de « taquineries » incessantes qui nuisent à son prestige et battent en brèche même ses connaissances littéraires les plus élémentaires.

Bien que le correcteur s’efforce de se modérer, il échappe difficilement au mouvement d’impatience des compositeurs ; leurs sarcasmes, leur humeur caustique s’exercent voluptueusement contre les virguliers. « Quand un compositeur s’arrête dans la lecture de sa copie, faute d’en comprendre le sens, il se trouve toujours un loustic qui lui crie : « Mets une virgule, et tu verras que la phrase se lira seule. » — Les compositeurs rappellent souvent avec admiration le souvenir de l’un de leurs collègues qui, en signe de protestation, composa deux ou trois lignes de virgules, qu’il plaça au bas d’une épreuve avec la note manuscrite suivante : « Ces virgules sont à la disposition de monsieur le correcteur. »

Et, maintenant, il sera sans doute permis à un correcteur de rappeler que la hantise de la ponctuation ne sévit point exclusivement chez ses collègues.

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