Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/256

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« Il y a, on le sait, deux façons de diviser les mots, nous pouvons dire deux écoles : l’une veut qu’on divise d’après l’étymologie ; l’autre, suivant l’épellation française. Elles ont toutes deux des partisans armés de bonnes raisons, et il nous serait peut-être difficile de fixer notre choix, si nous ne savions par expérience que l’une a sur l’autre l’avantage d’assurer l’uniformité de marche… Nous reconnaissons que rien ne serait plus rationnel que de se laisser guider par l’étymologie, si cette méthode pouvait être suivie en toutes circonstances ; mais elle conduit si souvent au ridicule ! Ainsi on divisera bien, d’après l’étymologie cons-cience, circon-scrire, in-struction, etc. ; mais, pour être logique, il faudra diviser chir-urgie, de-scription, dés-ordre, méth-ode, mon-arque, pan-égyrique, pén-ultième, pre-science, pseud-onyme, sub-ir, téle-scope, vin-aigre, etc. Outre la forme prétentieuse de telles divisions, elles-offrent à la lecture un grave défaut : on sera amené à commencer la prononciation d’un mot ainsi divisé d’une façon tout à fait contraire à ce qu’elle doit être, à moins que l’on ne consente à ne pas étendre le même principe à certains mots qui présenteraient cet inconvénient. Alors nous retomberons dans l’exception, dans l’arbitraire… Mieux vaudra donc rester Français en écrivant le français[1] », et ne pas porter un défi au bon sens du lecteur par une manière d’écrire qui frise parfois le ridicule.

Il est bon de rappeler, d’ailleurs, après A. Tassis, qu’en 1835, croyons-nous, une lutte vive et longue s’éleva dans les imprimeries de Paris sur le sujet dont nous parlons ; tous les correcteurs qui s’étaient montrés les partisans les plus chauds de la division étymologique, effrayés des conséquences étranges que ce système amène à la fin de la justification, se virent forcés de renoncer à leur méthode et obligés d’écrire comme tout le monde.

Le correcteur doit faire appel à son bon sens pour les coupures de titres, pour la disposition des textes, car ce n’est pas seulement dans les questions scientifiques que le correcteur doit « connaître ce que le bon sens suggère » : les ouvrages littéraires, les travaux didactiques, les bilboquets, etc., n’exigent pas moins ; en ces matières le « bon goût » doit venir en aide au bon sens.

  1. Daupeley-Gouverneur, le Compositeur et le Correcteur typographes, p. 85-86.