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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/581

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table, le fauteuil sur lequel se sont assis, dit-on, Juste Lipse et Cornelius Kiliaan. Pour Juste Lipse, la tradition pourrait bien se tromper ; mais, quant à Kiliaan, le fait est certain[1]… Ce qui fait les mérites de cette relique, ce sont les souvenirs qu’elle rappelle, souvenirs de travail, de patientes et infatigables veilles…

« Sur le seuil de la porte de la chambre des correcteurs… un charme doux et pénétrant gagne l’esprit du visiteur. Au milieu de tous ces souvenirs si beaux d’un passé resplendissant, il n’est pas possible que la pensée résiste à évoquer les noms des grands travailleurs, des savants et des artistes qui ont passé dans cette demeure. Tout un monde oublié revit en un instant. »

L’un de nos maîtres imprimeurs les plus réputés de province rappelle en ces termes la coutume qu’avaient ses prédécesseurs d’affecter un local spécial au service de la correction : « De temps en temps, sortant de la chambre des correcteurs ou de sa boutique de libraire, le maître imprimeur, véritable savant que la grandeur de son art imprégnait de majesté et imposait au respect, passait, allant de l’un à l’autre vérifier la perfection du travail et donnant des conseils[2]… »

On nous permettra de rappeler encore deux anecdotes fort intéressantes : « Sur la porte de son cabinet, Alde Manuce avait fait placer cette inscription : Ne m’interrompez que pour des choses utiles. Le roi-chevalier François Ier, au cours de l’une de ses visites à l’illustre érudit, écrivit lui-même à son tour : « Restez, j’attendrai la fin de votre lecture. » Et il attendit en effet[3]. »

Le même Alde Manuce avait placardé sur la table de son cabinet de travail : « Qui que vous soyez, Alde vous prie avec les plus vives instances, si vous désirez lui demander quelque chose, de le faire brièvement et de vous retirer aussitôt, à moins que vous ne veniez lui

  1. « Le fait est certain », dit M. L. Degeorge ; nous voulons bien le croire, mais nous l’ignorons de manière certaine. On peut affirmer, il est vrai, sans crainte d’erreur, que Plantin dut affecter au service de ses correcteurs et des hôtes de marque qui vinrent travailler à son officine une salle pourvue de tout ce qui pouvait au xvie siècle constituer pour nos pères le nec plus ultra du confort ; mais ni Plantin, ni Kiliaan, ni Juste Lipse ne connurent la pièce dite « chambre des correcteurs » : celle-ci aurait été, d’après M. Max Rooses, aménagée par un Moretus en l’an 1637, soit vingt années après la mort de Kiliaan.
  2. P. Mellottée, Histoire économique de l’Imprimerie, t. I.
  3. D’après Frey. — Didot attribue cette anecdote à Robert Estienne