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DICTIONNAIRE DES APOCRYPHES.

les magistrats de la Médie et de la Perse, et à tous les autres qui gouvernaient les cent vingt-sept provinces de ses États, après le souper, le roi s’endormit, et les trois gardes qui étaient de service auprès de sa personne, se dirent : Proposons chacun quelque chose et celui qui soutiendra le mieux son sentiment sera richement récompensé du roi ; il portera la pourpre, boira dans une coupe d’or, aura un lit d’or, un chariot traîné par des chevaux ornés de brides d’or, un collier précieux, le bonnet de byssus nommé cydaris qu’on n’accordait qu’aux personnes du premier rang) ; il sera assis à la seconde place après Darius, et sera nommé le parent du roi. Alors chacun d’eux écrivit sa proposition, et l’ayant cachetée, ils la mirent sous le chevet du roi. L’un dit que la chose du monde la plus forte est le vin ; le second, que c’est le roi ; le troisième, que ce sont les femmes, mais que la vérité l’emporte sur tout cela. Le roi se leva, et ils lui présentèrent leurs écrits. Alors Darius assembla tous ses officiers et les gouverneurs de ses provinces. On lut en leur présence les propositions des trois gardes du roi, et on les fit entrer dans la salle pour soutenir leur sentiment. Le premier parla de la force du vin, et fit voir ses effets sur l’esprit et le cœur des hommes ; ôtant aux uns le souvenir de leur misère ; inspirant aux autres la joie et le courage, la hardiesse, la libéralité, et quelquefois la colère et la fureur. Le second parla sur la puissance du roi qui s’étend sur les mers et les terres, qui fait trembler les nations, et qui, par le moyen de ses armées, abat les montagnes, les tours et les murailles, tue, ravage, terrasse, pardonne, rétablit, soutient. Les peuples soumis lui apportent le fruit de leurs travaux ; ses ennemis le redoutent ; tout le monde le respecte. Zorobabel, qui était le troisième, exagéra le pouvoir des femmes. Elles dominent, dit-il, et le roi et le sujet ; elles donnent la naissance aux grands comme aux petits ; ceux qui cultivent la vigne et ceux qui boivent le vin ne seraient pas sans les femmes. Ce sont elles qui leur donnent des habits et des ornements précieux. L’homme quitte ses parents, ses amis et sa patrie pour s’attacher à sa femme. Elle adoucit les plus farouches ; elle gagne les plus violents. Le roi, tout puissant qu’il est, se laisse quelquefois maltraiter familièrement, et par amitié, d’une femme. J’ai vu Apémène, fille de Bésacis, assise à la droite du roi, lui ôter le diadème, se le mettre sur la tête et frapper le roi de sa main gauche. Mais, ajouta-t-il, la force de la vérité l’emporte encore sur les caresses et les attraits de la femme. Toutes les nations révèrent et invoquent la vérité, le ciel la bénit, toute la terre la craint et la respecte. Le vin, le roi et les femmes peuvent tomber dans le désordre et dans l’injustice, mais la vérité est incorruptible et éternelle. Sa force n’est ni passagère, ni sujette au changement. Elle ne fait acception de personne ; elle ne s’égare point dans ses jugements ; elle fait toute la force, la beauté, la puissance de tous les siècles. Béni soit le Seigneur de la vérité. Il se tut, et toute l’assemblée s’écria : La vérité est grande.

Alors le roi le déclara vainqueur, et lui dit qu’il lui accordait non-seulement ce qui était porté dans leur écrit, mais de plus, qu’il lui permettait de lui faire quelle demande il voudrait. Zorobabel le supplia très humblement de se souvenir du vœu qu’il avait fait, lorsqu’il parvint à la royauté, de faire rebâtir le temple qui avait été brûlé par les Iduméens lorsque les Chaldéens prirent la ville de Jérusalem, et d’y renvoyer tous les vases que Cyrus avait mis à part, lorsqu’il prit Babylone, pour les faire reporter à Jérusalem ; que c’était la seule grâce qu’il lui demandait. Darius l’embrassa, lui accorde sa demande, et écrivit aux gouverneurs des provinces d’au delà de l’Euphrate de ne point inquiéter les Juifs ; de les laisser jouir, eux et leur pays, d’une pleine et entière immunité, de contraindre les Iduméens, qui s’étaient emparés de leurs terres et de leurs villes, à les abandonner ; de faire conduire à Jérusalem les bois du Liban nécessaires pour les bâtiments ; de fournir aux lévites et aux ministres du temple la nourriture et l’habit dont ils se servent dans les cérémonies, jusqu’à ce que la ville et le temple fussent entièrement bâtis. Il veut aussi qu’on donne vingt talents de son domaine par an pour contribuer à la construction du temple, et dix autres talents pour les frais des sacrifices, qu’on offrira tous les jours, soir et matin. Enfin il permet au peuple de Juda de rebâtir Jérusalem, et leur accorde une parfaite liberté, à eux, à leurs prêtres et à leurs successeurs à perpétuité. Zorobabel revint à Jérusalem avec ces ordres et ces pouvoirs qu’il communiqua et qu’il signifia aux gouverneurs des provinces, et ramena avec lui quarante-deux mille trois cent quarante Juifs, outre un grand nombre d’esclaves. Voilà en abrégé ce qu’on lit fort au long dans les chapitres ii, iv et v du IIIe livre d’Esdras. C’est ce qui se fait le plus remarquer dans ce livre, et ce qui fait sa principale différence d’avec le livre d’Esdras.

V. Voici le jugement qu’on peut porter de cette histoire des trois gardes du corps de Darius. 1o Elle ne s’accorde nullement avec l’histoire du vrai Esdras qu’on lit dans les livres hébreux et dans les exemplaires canoniques. Si Darius, en renvoyant les Juifs avec Zorobabel à Jérusalem, eût écrit à ses officiers d’au delà de l’Euphrate en leur faveur, ces officiers auraient-ils eu la hardiesse de venir leur demander pourquoi ils bâtissaient le temple ?[1] Ne savaient-ils pas les ordres du roi, et n’étaient-ils pas eux-mêmes obligés de contribuer à ce bâtiment ?[2] Je parle suivant le faux Esdras. Zorobabel aurait-il été contraint de recourir, comme il le fit[3], à l’ancienne permission
  1. III Esdr. vi, 11.
  2. III Esdr. iv, 48.
  3. III Esdr. vi, 17.