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Page:Dubois - Tombouctou la mystérieuse, 1897.djvu/228

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TOMBOUCTOU LA MYSTÉRIEUSE

samment leurs livres, m’ouvrirent toutes grandes les portes de leurs demeures, m’introduisirent même dans les pièces réservées aux femmes.

Ainsi, le monomane est peu à peu devenu quelque chose de plus qu’une connaissance ; l’indulgence s’est changée en affection. Je m’en rends compte en ce dernier jour. Ces visites d’adieu me le révèlent, car je ne les avais pas prévues. Et l’émotion me gagne. Je me découvre aussi pour certains d’entre eux quelque chose de plus que de la sympathie. Ils défilent touchants, m’apportant, qui un petit souvenir, qui des provisions, d’autres un petit billet en arabe qui représente une lettre de recommandation pour Tombouctou, et tous d’affectueux souhaits de voyage entremêlés d’aimables questions. Viendrai-je les revoir ? Causerons-nous encore de Dialliaman, de l’impie Sunni Ali, et de la vieillesse malheureuse d’Askia le Grand ? Alors pour justifier mon sobriquet de marabout toubab, je leur dis : « Oui, nous nous reverrons tous encore, mais pas ici, — dans un pays où il n’y a plus ni nègres ni blancs, — au pays d’Allah, où vous serez tous blancs comme moi ». Et nous rions ensemble une dernière fois.

Vers la fin de l’après-midi ils se sont retirés, le moment approchant de la prière qui doit être dite au coucher du soleil. Je monte sur la terrasse de ma maison. De là-haut, comme penché sur une carte, on domine la ville, l’île, la plaine et les trois canaux qui viennent découper Dienné au milieu des terres. Après avoir serré, pour toujours, les mains amies de ses habitants, je veux étreindre une dernière fois du regard ce pays pour lequel je me suis passionné.

La plaine au loin est piquée de points blancs. Elle semble semée de marguerites, de marguerites en marche, ayant toutes le même but, attirées vers l’enceinte de la ville comme par un aimant. Autour de l’île, sur le bord du rivage, les petites fleurs viennent former de petits bouquets : ce sont les gens