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DIENNÉ, HIER ET AUJOURD’HUI

qui en cette fin du Jour se hâtent vers leurs demeures et attendent la pirogue du passeur pour rentrer. Des points sombres subissent maintenant la même aimantation : des troupeaux de chevaux qui paissaient sans entraves. Eux, n’attendent point le passeur. Des hennissements s’envolent dans l’air. Leur bande s’élance dans l’anneau d’eau qui les sépare de leur écurie, et le traverse joyeusement en se poursuivant et se mordillant. Comme personne n’est venu les attendre devant les murs, pour se sécher sans doute, ils se précipitent à travers la ville en de vigoureux galops entremêlés de ruades. Les rues se remplissent d’un amusant brouhaha, de cris, de rires et de grands gestes blancs qui sortent des vastes robes pour écarter les folles bêtes. Celles-ci, leurs ébats terminés, se mettent paisiblement à la recherche de leurs maîtres qui, eux, ne cherchent rien.

C’est l’heure où les hommes cessent de projeter en ombre leur silhouette. En bas la vie et le bruit s’éteignent. Un marabout est monté sur la terrasse de la grande mosquée et a crié : « Dieu est le plus grand ! Préparez-vous à la prière ! Préparez-vous au bonheur… » Et voici que les autres terrasses, autour de moi, se peuplent de silhouettes blanches. Sur le fond des palmiers chevelus, sur les vertes coupoles des baobabs, elles se détachent inclinées, prosternées, redressées tour à tour ; indifférentes et tournant le dos aux splendeurs pourprées de la lumière qui meurt, présentant la face au Levant déjà enténébré, mais où luit pour eux l’éternelle lumière, où se trouve La Mecque. Au-dessus de la ville, c’est une religieuse pantomime, une animation silencieuse, coupée tout à coup par une voix d’airain — le clairon du fort qui sonne la soupe…

La plaine est devenue un vaste désert fantastiquement enluminé, surmonté d’une palette où flamboient tous les tons de l’incandescence. Les canaux, à peine visibles tantôt, éclatent maintenant en lacets scintillants et irisés, miroirs