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Page:Dubois - Tombouctou la mystérieuse, 1897.djvu/424

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TOMBOUCTOU LA MYSTÉRIEUSE

Les Kalintassars qui n’avaient pas voulu marcher sur Tombouctou rentrèrent chez eux. Les Tenguéréguifs seuls restèrent et se portèrent sur la route de Kabara avec l’intention d’affamer la ville.

Le calcul était juste. Vers le 6 janvier, la petite garnison se trouva à court de vivres. Coûte que coûte il fallut aller se ravitailler à Kabara. Le commandant résolut d’user du même chemin par lequel il était venu. La nuit, les deux chalands, armés de nouveau de leurs canons-revolvers et de quelques hommes, se glissèrent inaperçus, mais ne purent revenir avant le lever du Jour. Ayant été découverts par les Touaregs, ceux-ci se formèrent aussitôt en masse dans un passage où les bords du marigot se resserrent. Au moment où ils s’élançaient, les canons-revolvers, démasqués tout à coup, les couvrirent de mitraille. La route de Tombouctou était libre. Les Touaregs, qui n’avaient pas vu partir les chalands, crurent à l’arrivée de renforts et se retirèrent vers le Désert.

Quatre jours plus tard, le 10 janvier, la première colonne, commandée par le colonel Bonnier, entrait dans la ville et mettait fin à l’extraordinaire et périlleuse aventure de la marine à Tombouctou.

J’ai fidèlement transcrit le récit fruste et naïf que me firent les hommes d’ébène et de bronze qui ont été les acteurs ou les spectateurs de cette action. Je n’ai pris soin que de contrôler leurs dires, évitant la moindre fioriture. Et pourtant je doute qu’il y ait dans les temps modernes un épisode plus invraisemblable que celui dont je viens de me faire l’historien. Le solennel du drame héroïque s’y mêle à la folie de l’opérette, le bouffon le dispute au sublime. Jamais la maladive fantaisie d’Edgar Poë n’a rien inventé de plus fantastique.

Le point de départ seul est une gageure contre la raison : dix-neuf hommes, dont sept Européens et douze nègres séné-