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change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s’échauffe, à peine le peut-on manier ; et quoique l’on frappe dessus, il ne rendra plus aucun son. » Nos sensations, mobiles et variables, tiennent donc à notre constitution cérébrale et mentale, bien plus qu’aux objets mêmes. Quand Descartes a, selon son expression, « dépouillé de tous ses vêtements » l’objet matériel, comme la cire, et qu’il l’examine ainsi « tout nu », il conclut qu’on ne peut « le concevoir de la sorte sans un esprit humain ». C’est le grand principe de l’idéalisme critique. Les conceptions d’ « objets » sont l’œuvre de l’esprit et tiennent à sa nature. Dès que l’esprit se demande s’il n’est pas pour quelque chose dans ses conceptions sur la matière même, le matérialisme brut commence d’être ébranlé.

La seconde raison de doute, devenue également classique, c’est que notre vie sensible se partage en deux moitiés : pendant le sommeil, nous croyons voir des hommes, des animaux, des plantes, un monde de réalités qui n’est cependant qu’un monde d’idées ; pourquoi notre veille ne serait-elle pas une sorte de songe mieux lié ? Encore un point d’interrogation qui se dressera toujours devant tout homme qui réfléchit. Quant au raisonnement, dont nous sommes justement si fiers, il nous trompe aussi parfois, même dans les mathématiques ; c’est que, au lieu d’être une intuition instantanée et immédiate des réalités, le raisonnement se traîne en quelque sorte dans la durée, d’idée en idée, enchaînant avec peine