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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/158

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marquent cette nouvelle période. Passer des brumes d’Allemagne au soleil d’Égypte la transition était brusque, et une moins heureuse nature eût pu en rester éblouie. Gérard de Nerval, dans ce livre, dont le succès grandit à chaque édition, a su éviter l’enthousiasme banal et les descriptions « d’or et d’argent plaquées » des touristes vulgaires. Il nous a introduit dans la vie même de l’Orient, si hermétiquement murée pour le voyageur rapide. — Sous un voile transparent il nous a raconté ses aventures avec ce ton modeste et cette naïveté enjouée qui font de certaines pages des Mémoires du Vénitien Carlo Gozzi une lecture si attrayante. L’histoire de Zeynab, la belle esclave jaune achetée au djellab dans un moment de pitié philanthropique, et qui embarrasse son voyage dotant de jolis incidents à l’orientale, est contée avec un art parfait et une discrétion du meilleur goût. Les mariages à la cophte, les noms arabes, les soirées de mangeurs d’opium, les mœurs des fellahs, tous les détails de l’existence mahométane sont rendus avec une finesse, un esprit et une conscience d’observation rares. Le style se réchauffe et prend des nuances plus ardentes sans rien perdre de sa clarté.

Les légendes de l’Orient ne pouvaient manquer d’exercer une grande influence sur cette imagination aisément excitée, que l’érudition sanscrite des Schlegel, le Divan oriental-occidental de Goethe, les Ghazels de Ruckert et de Platen avaient d’ailleurs préparée depuis longtemps à ces magies poétiques.