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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/186

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dinaire ; Bocage l’homme fatal, madame Dorval la faible femme par excellence !… Jamais identification d’un acteur et d’un rôle ne fut plus complète : Bocage était véritablement Antony, et Adèle d’Hervey ne pouvait se détacher de madame Dorval. Henri Heine dans ses Lettres sur la France, après un parallèle entre Kean et Frédérick-Lemaître, s’exprime ainsi sur le compte de Bocage : « Il serait injuste, quand je rends un témoignage si louangeur pour Frédérick-Lemaître, de passer sous silence l’autre grand acteur que Paris possède. Bocage jouit ici d’une réputation aussi grande, et sa personnalité est, sinon aussi remarquable, du moins aussi intéressante que celle de son confrère. Bocage est un bel homme, distingué, dont les manières et les mouvements sont nobles. Sa voix métallique, riche en inflexions, se prête aussi bien aux éclats les plus tonnants du courroux et de la fureur qu’à la tendresse la plus caressante des murmures amoureux. Dans l’explosion la plus violente de la passion, il conserve toujours de la grâce, toujours la dignité de l’art, et dédaigne de s’aventurer dans la nature brutale comme Frédérick-Lemaître, qui obtient à ce prix de grands effets, mais des effets sans beauté poétique. Celui-ci est une nature exceptionnelle qui domine moins sa puissance démoniaque qu’il n’en est subjugué lui-même, et c’est pourquoi j’ai pu le comparer à Kean. Bocage n’est pas autrement organisé que le reste des hommes ; il se distingue seulement d’eux par une plus grande finesse d’organisa-