Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

principaux de ce caractère dans la plupart des pièces du temps.

Quant à madame Dorval, jamais on ne vit au théâtre une actrice plus profondément féminine. Quoiqu’elle ne fût pas régulièrement belle, elle possédait un charme suprême, une grâce irrésistible ; avec sa voix émue, troublée, qui semblait vibrer dans les larmes, elle s’insinuait doucement au cœur et, en quelques phrases, s’emparait du public mieux que ne l’eût fait une actrice détalent impérieux et de beauté souveraine. Comme elle était sympathique et touchante, comme elle intéressait, comme elle se faisait aimer, et comme on la trouvait adorable ! Elle avait des accents de nature, des cris de l’âme qui bouleversaient la salle. La première phrase venue : « Comment faire ? » ou bien : « Je suis bien malheureuse, » ou encore : « Mais je suis perdue, moi ! » lui fournissait l’occasion d’effets prodigieux. Il ne lui en fallait même pas tant : à la manière dont elle dénouait les brides de son chapeau et le jetait sur un fauteuil, on frissonnait comme à la scène la plus terrible. Quelle vérité dans ses gestes, dans ses poses, dans ses regards, lorsque, défaillante, elle s’appuyait contre quelque meuble, se tordait les bras, et levait au ciel ses yeux d’un bleu pâle tout noyés de larmes ! et comme dans cet amour éperdu, à travers cet enivrement coupable, elle restait encore honnête femme et dame ! Cet amant, on le sentait bien, devait être l’unique, et ce cœur brisé par la passion n’avait pas de place pour une autre image.