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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/195

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On s’est un peu moqué des soins qu’il prenait sur la fin de sa vie pour prolonger une jeunesse passée depuis longtemps, si l’on s’en rapporte aux dates, mais qui, si elle ne florissait pas sur son visage, souriait toujours dans son esprit et dans son caractère. Nestor ne pouvait avoir plus de trente ou trente-cinq ans : cela lui était impossible de vieillir, comme à ces jeunes premiers qui jouent à perpétuité les rôles d’amoureux où de vrais jeunes gens ne sauraient les remplacer. Singulier phénomène, Roqueplan était, pour toujours et sans circonstances atténuantes, condamné à la jeunesse, — eût-il atteint l’âge d’un patriarche. — Déjazet est un des plus frappants exemples de cette anomalie : ayant plus que l’âge d’une grand’mère, elle ravit tout le monde dans les rôles de pages et de chérubins d’amour. C’est là souvent un malheur et toujours un inconvénient.

Dans la vie de tout individu remarquable, il y a une époque relativement heureuse et brillante, où ses facultés se développent en harmonie avec les manières de ses contemporains. Il répond mieux qu’un autre à l’idéal du moment. C’est lui qu’on admire et qu’on se propose pour modèle. On imite ses chapeaux et ses gilets ; ses bons mots font toujours rire ; on les répète, on les cite dans les journaux ; le cabaret où il prend ses repas devient à la mode, et les mets qu’il préfère sont demandés ; les plus audacieux n’oseraient proclamer jolie une femme qu’il aurait trouvée laide, et s’il porte à sa