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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/196

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boutonnière un camélia blanc, soyez sûrs que personne ne se risquera à en mettre un rouge. Mais le temps passe, le milieu dans lequel rayonnait la personnalité acceptée de tous se modifie et se défait, les amis disparaissent peu à peu, entraînés par la vie et par la mort ; les idées varient, les modes changent : autres temps, autres guitares ! et celui qui, par don fatal, ne peut vieillir, est regardé avec une sorte d’étonnement par les générations nouvelles. Il a beau être plus au courant que personne, n’ignorer rien des actualités en vogue, devancer même les changements, se livrer aux folies, aux soupers, à tous les plaisirs bruyants avec plus d’entrain et de santé que les mineurs et les petits-crevés (un mot de lui), il a été, et on lui en veut presque d’être encore. En réalité, on ne vit que dix ans, de vingt à trente ; c’est ce qui a inspiré au poète grec Ménandre ce vers mélancolique :


Ils sont aimés des dieux ceux-là qui meurent jeunes,


On ne peut cependant pas se supprimer, et il faut se résigner à se survivre, à s’effacer, à rentrer dans l’ombre avant qu’on vous y pousse par les épaules ; mais cela est dur, surtout quand on se sent plein de feu, d’idée et de vigueur ; et croyez que Nestor Roqueplan est mort de ce chagrin-là, en prenant pour prétexte une hypertrophie du cœur.

21 mai 1870.