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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/224

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sement de ses nerfs, et les recréait de fond en comble, tout en leur gardant leur physionomie. Tandis que d’autres fins talents de l’époque dessinaient des vignettes, lui peignit toujours des tableaux qui pouvaient exister en dehors du livre où il en puisait le motif. Il pénétrait si avant au cœur de l’œuvre qu’il la rendait plus profonde, plus sensible et plus significative pour l’auteur même. Nous trouvons dans les conversations de Gœthe, recueillies par Eckermann, ce curieux passage sous la date du 29 novembre 1826 :

« Gœthe me présenta une lithographie représentant la scène où Faust et Méphistophélès, pour délivrer Marguerite de la prison, glissent en sifflant dans la nuit sur deux chevaux, et passent prés d’un gibet. Faust monte un cheval noir, lancé à un galop effréné, et qui parait, comme son cavalier, s’effrayer des spectres qui passent sous le gibet. Ils vont si vite que Faust a de la peine à se tenir. Un vent violent vient à sa rencontre, et a enlevé sa toque qui, retenue à son cou par un cordon, flotte loin derrière lui. Il tourne vers Méphistophélès un visage plein d’anxiété et semble épier sa réponse. Méphistophélès est tranquille, sans crainle, comme un être supérieur.

« Il ne monte pas un cheval vivant : il n’aime pas ce qui vit. Et d’ailleurs il n’en a pas besoin ; sa volonté suffit pour l’entraîner aussi vite que le vent. Il n’a un cheval que parce qu’il faut qu’on se rimagine à cheval ; il lui suffisait donc de ramasser,