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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/347

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vie et vous n’accordez pas à l’art la liberté ! Les fleurs n’ont jamais fait de mensonge ; bien plus sûrement que vos visages bouleversés par la fureur, leurs fraîches couleurs m’annoncent que la profonde blessure de l’humanité va se guérir. Le murmure prophétique des bois me dit que le monde sera libre ; leur murmure me le crie plus intelligiblement que ne le font vos feuilles avec tout leur fracas de mots d’où l’âme est absente, avec toutes leurs fanfaronnades discréditées. Si cela me plaît, je cueillerai ici des fleurs : si cela me plaît, à la liberté un chant, mais jamais je ne me laisserai enrôler par vous. » Elle dit et tourna le dos à la troupe grossière. »

Pierre Dupont n’eut pas le mépris hautain de Lenau pour cette popularité du moment ; il fit chanter à sa muse le refrain voulu, mais il n’y gagna pas grand’chose.

Peu à peu tout ce tumulte s’apaisa. Ces refrains qui vous poursuivaient de la rue au théâtre, comme un motif obsesseur dont on ne peut se débarrasser et qu’on entend toujours bourdonner à son oreille, cessèrent de voltiger sur la bouche des hommes. Le silence se fit autour du poëte. À la vogue méritée succéda l’oubli injuste. L’ombre descendit sur le front où la popularité semblait avoir posé un laurier éternel. D’autres préoccupations s’emparèrent des esprits ; mais Pierre Dupont gardera cette gloire d’avoir cru à la poésie lorsque tout le monde se tournait vers la politique.