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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/57

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des narines, et bientôt il disparut à demi dans le vaporeux tourbillon, pareil à Jupiter assembleur de nuages. Il est inutile de dire que pendant ce temps-là Jules Vabre, le compagnon miraculeux, se livrait à une opération absolument pareille.

Maintenant, nous demandera peut-être le lecteur par quel filament se rattache à l’histoire du Romantisme ce brave Jules Vabre, charmant garçon d’ailleurs, mais dont les titres littéraires sont un peu minces, puisque, de votre aveu, il n’a pas achevé ni même commencé l’Essai sur l’incommodité des commodes, cet ouvrage d’ébénisterie transcendantale.

Jules Vabre aimait Shakspeare, mais d’un amour excessif, même dans un cénacle romantique. C’était son Dieu, son idole, sa passion, un phénomène auquel il ne pouvait s’accoutumer, et qui le surprenait davantage à chaque rencontre : il y pensait le jour, il en rêvait la nuit, et comme La Fontaine, qui disait aux passants : « Avez-vous lu Baruch ? » Vabre eût volontiers arrêté les gens dans la rue pour leur demander : « Avez-vous lu Shakspeare ? » Cet architecte fut complètement envahi et possédé par ce poëte. Ne trouvant pas qu’il savait assez l’anglais, Jules Vabre, sans se laisser effrayer par des perspectives de famine et de misère, quitta Paris pour Londres n’ayant d’autre but que de se perfectionner dans la langue de son auteur, afin qu’aucune finesse du texte ne lui échappât. Selon lui, et il avait peut-être raison, pour s’assimiler complètement un