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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/61

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seul de son côté, guidé par la pure doctrine de l’école.

Il y a quelques années, nous vîmes arriver à notre petit ermitage de la rue de Longchamps un monsieur pâle, à cheveux tout blancs, vêtu de noir, ayant une dégaine de clergyman : c’était Jules Vabre ; il n’avait pas encore trouvé l’éditeur pour sa traduction et venait en France fonder un pensionnat international — pardon du mot — il ne sonnait pas aussi mal alors qu’aujourd’hui ; il voulait expliquer Hernani aux Anglais et Macbeth aux Français. Cela l’ennuyait de voir les Anglais apprendre le français dans Télémaque et les Français l’anglais dans le Vicaire de Wakefield.

Son entreprise prospéra-t-elle ? Nous l’ignorons, car depuis cette visite qu’il avait promis de renouveler, nous ne le revîmes plus. Cependant nous penchons à croire que le pensionnat ne réussit pas plus que la traduction. Jules Vabre était né sous une étoile enragée, comme dit de lui-même le poète Théophile de Viau, et la fatalité taquine déguisée en guignon le poursuivit toujours. Est-il mort ? Est-il vivant ? S’il n’est plus et qu’il ait un tombeau quelque part, on peut écrire sur la pierre, pour toute épitaphe :

IL AIMA SHAKSPEARE

comme on avait mis sur la tombe de Thomas Hood ;

IL FIT LA CHANSON DE LA CHEMISE.

Toute sa vie est là.