Aller au contenu

Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que Gérard. Être enfermé entre quatre murs, un pupitre devant les yeux, éteignait l’inspiration, et la pensée ; il appartenait à la littérature ambulante comme Jean-Jacques Rousseau et Restif de la Bretonne, et ne perdait pas son temps dans ses courses, qui toutes avaient un but d’obligeance ou de bonne camaraderie.

Il travaillait en marchant et de temps à autre il s’arrêtait brusquement, cherchant dans une de ses poches profondes un petit cahier de papier cousu, y écrivait une pensée, une phrase, un mot, un rappel, un signe intelligible seulement pour lui, et refermant le cahier reprenait sa course de plus belle. C’était sa manière de composer. Plus d’une fois nous lui avons entendu exprimer le désir de cheminer dans la vie le long d’une immense bandelette se repliant à mesure derrière lui, sur laquelle il noterait les idées qui lui viendraient en route de façon à former au bout du chemin un volume d’une seule ligne. Cet esprit était une hirondelle apode. Il était tout ailes et n’avait pas de pieds, tout au plus une imperceptible griffe pour se suspendre un moment aux choses et reprendre haleine ; il allait, venait, faisait de brusques zigzags aux angles imprévus, montait, descendait, montait plutôt, planait et se mouvait dans le milieu fluide avec la joie et la liberté d’un être qui est dans son élément.

Ce n’était pas chez lui mobilité inquiète, légèreté frivole, sautillement fantasque, mais agilité d allure aisance à flotter et à s’élever.