Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/90

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Quelquefois on l’apercevait au coin d’une rue, le chapeau à la main, dans une sorte d’extase, absent évidemment du lieu où il se trouvait, ses yeux étoiles de lueurs bleues, ses légers cheveux blonds déjà un peu éclaircis faisant comme une fumée d’or sur son crâne de porcelaine, la coupe la plus parfaite qui ait jamais enfermé une cervelle humaine gravissant les spirales de quelque Babel intérieure. Quand nous le rencontrions ainsi absorbé, nous avions garde de l’aborder brusquement, de peur de le faire tomber du haut de son rêve comme un somnambule qu’on réveillerait en sursaut, se promenant les yeux fermés et profondément endormi sur le bord d’un toit. Nous nous placions dans son rayon visuel et lui laissions le temps de revenir du fond de son rêve, attendant que son regard nous rencontrât de lui-même, et il rentrait bien vite, en apparence du moins, dans la vie réelle, par quelque mot amical ou spirituel.

Le Gérard de ces premières années ne ressemble guère au Gérard que la plupart des littérateurs de ce temps ont pu connaître au divan Le Peletier. Sa destinée s’annonçait souriante, sans autre calamité que les refus des directeurs de théâtre, qui ne voulaient pas jouer les pièces d’un jeune homme inconnu, tout en leur faisant un hypocrite bon accueil, et s’attiraient de Petrus Borel, dans la préface des Rhapsodies, cette verte apostrophe : — « À toi, bon Gérard, quand donc les directeurs gabelous de la littérature laisseront-ils arriver au comité public