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Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/100

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profond d’un moteur mourant. Pas un cri. Comme un bâillon, la nuit complice retombe, étouffante et muette.

Elle attend, elle écoute se prolonger le silence, écrasant d’un effort suprême de volonté son cœur tremblant de femme, et ses nerfs qui s’émeuvent. Un instant, la pensée de ses petits, effarés, criant son nom, la font défaillir, les paupières battantes ; puis, lentement, sans curiosité, elle s’en retourne vers le château. Régulier, son pas frappe doucement la nuit. Son haleine seule, un peu précipitée, l’oppresse : elle a honte de l’émotion animale de son être physique. Pas un doute ne l’effleure ; elle est fière, et très calme. Un instant, elle s’arrête, baissée, sur la route qu’éclaire une tendre lune, pour sauver des pas meurtriers une chenille de velours, égarée et infime…

Attirés par le bruit, des hommes la croisent en courant, la questionnent au passage. Elle passe, la tête haute, car jamais elle ne répond à l’ennemi, dédaigneuse de sa présence qui la côtoie.

Sur le perron éclairé, majestueux, flanqué des orangers en dôme, elle s’arrête, attendant ; sous son manteau blanc qu’elle drape d’une main élégante, elle semble une châtelaine paisible accueillant des invités.

Bientôt une procession l’atteint, les pas lourds,