Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome II.djvu/291

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Et l’on n’endort pas plus la cloche aux sons pieux
Que l’eau sur l’océan ou le vent dans les cieux !


La cloche, écho du ciel placé près de la terre !
Voix grondante qui parle à côté du tonnerre,
Faite pour la cité comme lui pour la mer !
Vase plein de rumeur qui se vidé dans l’air !


Sur cette cloche, auguste et sévère surface,
Hélas ! chaque passant avait laissé sa trace.
Partout des mots impurs creusés dans le métal
Rompaient l’inscription du baptême natal.
On distinguait encore, au sommet ciselée,
Une couronne à coups de couteau mutilée.
Chacun, sur cet airain par Dieu même animé,
Avait fait son sillon où rien n’avait germé !
Ils avaient semé là, ceux-ci leur vie immonde,
Ceux-là leurs vœux perdus comme une onde dans l’onde,
D’autres l’amour des sens dans la fange accroupi,
Et tous l’impiété, ce chaume sans épi.
Tout était profané dans la cloche bénie.
La rouille s’y mêlait, autre amère ironie !
Sur le nom du Seigneur l’un avait mis son nom !
Où le prêtre dit oui, l’autre avait écrit non !
Lâche insulte ! affront vil ! vain outrage d’une heure
Que fait tout ce qui passe à tout ce qui demeure !


Alors, tandis que l’air se jouait dans les cieux,
Et que sur les chemins gémissaient les essieux,
Que les champs exhalaient leurs senteurs embaumées,
Les hommes leurs rumeurs et les toits leurs fumées,
Il sentit, à l’aspect du bronze monument 74
Comme un arbre inquiet qui sent confusément
Des ailes se poser sur ses feuilles froissées,
S’abattre sur son front un essaim de pensées.

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