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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

le sergent se préparait à répéter l’ordre : En joue ! quand tout à coup ils entendirent une voix forte crier à côté d’eux :

— Vive la république ! J’en suis.

Grantaire s’était levé.

L’immense lueur de tout le combat qu’il avait manqué, et dont il n’avait pas été, apparut dans le regard éclatant de l’ivrogne transfiguré.

Il répéta : Vive la république ! traversa la salle d’un pas ferme, et alla se placer devant les fusils debout près d’Enjolras.

— Faites-en deux d’un coup, dit-il.

Et, se tournant vers Enjolras avec douceur, il lui dit :

— Permets-tu ?

Enjolras lui serra la main en souriant.

Ce sourire n’était pas achevé que la détonation éclata.

Enjolras, traversé de huit coups de feu, resta adossé au mur comme si les balles l’y eussent cloué. Seulement il pencha la tête.

Grantaire, foudroyé, s’abattit à ses pieds.

Quelques instants après, les soldats délogeaient les derniers insurgés réfugiés au haut de la maison. Ils tiraillaient à travers un treillis de bois dans le grenier. On se battait dans les combles. On jetait des corps par les fenêtres, quelques-uns vivants. Deux voltigeurs, qui essayaient de relever l’omnibus fracassé, étaient tués de deux coups de carabine tirés des mansardes. Un homme en blouse en était précipité, un coup de bayonnette dans le ventre, et râlait à terre. Un soldat et un insurgé glissaient ensemble sur le talus de tuiles du toit, et ne voulaient pas se lâcher, et tombaient, se tenant embrassés d’un embrassement féroce. Lutte pareille dans la cave. Cris, coups de feu, piétinement farouche. Puis le silence. La barricade était prise.

Les soldats commencèrent la fouille des maisons d’alentour et la poursuite des fuyards.