Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/112

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Et j'ai connu la honte et j'ai connu l'effroi ;
La honte de l'avoir et l'effroi de le rendre ;
Et jusqu'à ce moment nul ne m'eût fait comprendre
Que je pusse rougir ou trembler. Donc, adieu.
Le désert me convient, et l'âpreté du lieu,
Quand la bête des bois devient haute et géante,
N'est point à ses grands pas farouches malséante ;
La croissance rend grave et sauvage l'oiseau ;
Et l'habitude d'être esclave ou lionceau
Se perd quand on devient lion ou gentilhomme ;
L'aiglon qui grandit parle au soleil et se nomme
Et lui dit je suis aigle, et, libre et révolté,
N'a plus besoin de père ayant l'immensité.
D'ailleurs qu'est-ce que c'est qu'un père ? La fenêtre
Que la vie ouvre à l'âme et qu'on appelle naître
Est sombre, et quant à moi je n'ai point pardonné
À mon père le jour funeste où je suis né.
Si je vis, c'est sa faute, et je n'en suis pas cause.
Enfin, en admettant qu'on doive quelque chose
À l'homme qui nous mit dans ce monde mauvais,
Il m'a délié, soit, c'est fini, je m'en vais.
Il n'est pas de devoir qu'un outrage n'efface ;
J'ai désormais la nuit sinistre sur la face ;
Il ne me convient plus d'être fils de quelqu'un.
Je me sens fauve, et voir son père est importun.
Je veux être altier, fier, libre, et je ne l'espère
Que hors de toi, donjon, que hors de vous, mon père.
Je vais dans la sierra que battent les éclairs ;