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le chien d’or

Philibert fixa sur lui un regard tout plein d’étonnement et de douleur :

— Toi ? toi, Le Gardeur de Repentigny ? est-ce possible ? Le Gardeur ne t’a jamais ressemblé ; Le Gardeur ne s’est jamais mêlé à des gens comme ceux que je vois !

Philibert avait échappé ces dernières paroles. Heureusement pour lui, elles furent étouffées par le tapage de la salle ; sans cela il aurait pu les payer de sa vie.

— C’est cependant moi, Pierre ! regarde-moi encore, reprit Le Gardeur ; je suis bien celui que tu as un jour retiré du St-Laurent ; je suis le frère d’Amélie.

Philibert regarda fixement Le Gardeur, et il ne douta plus. Il l’attira sur sa poitrine, disant d’une voix émue et pleine de pitié :

— Ô ! Le Gardeur ! je te reconnais maintenant ! mais où et comment je te retrouve ! Combien de fois j’ai rêvé de te revoir encore ! mais dans la chaste et vertueuse maison de Tilly, jamais ici ! Que fais-tu ici, Le Gardeur ?

— Pardonne-moi, Pierre ! je sais comme il est honteux d’être ici.

Sous le regard de son ami, Le Gardeur s’était tout à coup transformé : il était devenu un autre homme. La surprise semblait l’avoir dégrisé.

— Ce que je fais ici, mon cher ami ! reprit-il, en portant ses regards autour de la salle, c’est plus aisé à voir qu’à dire. Mais, par tous les saints ! j’en ai fini ! Tu retournes à la ville tout de suite, Pierre ?

— Tout de suite, Le Gardeur, le gouverneur m’attend.

— Alors je m’en retourne avec toi. Ma bonne tante et ma sœur sont à Québec. J’ai su ici même leur arrivée ; j’aurais dû partir sur le champ, mais le vin de l’Intendant a eu trop d’emprise sur moi. Qu’ils soient tous maudits ! parce qu’ils m’ont déshonoré à tes yeux, Pierre… et aux miens !