Le comte de Lusignan, cheveux gris, air martial, salua respectueusement. Le gouverneur continua :
— Les dépêches nous conseillent de retirer les troupes de Carillon, cependant ; je demande au comte quel sera, dans son opinion, le résultat de ce fait, s’il s’accomplit.
— Si nous commettons une pareille folie, s’écria de Lusignan, dans huit jours les cinq nations seront sur le Richelieu, et dans un mois les Anglais seront dans Montréal !
— Alors, comte, vous ne conseillez pas d’abandonner Carillon ? Et le gouverneur sourit en disant cela, car il comprenait bien lui aussi l’absurdité d’une pareille question.
— Pas avant que Québec lui-même soit tombé ! Et alors le vieux comte de Lusignan ne pourra plus aviser Sa Majesté…
— Bien dit ! comte, bien dit ! Avec vous Carillon est sauvé ! Si un jour l’ennemi ose l’attaquer, il s’emplira, ce vieux fort, des riches dépouilles de la victoire, et son drapeau deviendra l’orgueil de la Nouvelle-France !
— Puisse-t-il en être ainsi, gouverneur ! Donnez-moi seulement le royal Roussillon, et je vous jure que jamais Anglais, Hollandais, ou Iroquois ne traversera les eaux du lac St. Sacrement !
— Comte, vous parlez comme le croisé, votre ancêtre… Mais il m’est impossible de vous donner le royal Roussillon. Ne pensez-vous pas qu’il soit possible de tenir avec la garnison que vous avez ?
— Contre les forces de la Nouvelle-Angleterre, oui ; mais peut-être pas contre les réguliers anglais qui débarquent à New York.
— Ce sont ceux que le roi a vaincus à Fontenay, n’est-ce pas ? demanda l’Intendant, qui tout courtisan qu’il était, n’aimait guère, non plus, la teneur des dépêches ; car il savait bien que ce n’était point pour l’honneur de la France que la Pompadour voulait la paix.
— Plusieurs de ces réguliers ont en effet combattu