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Page:Kirby - Le chien d'or, tome I, trad LeMay, 1884.djvu/33

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le chien d’or

à la corvée du roi en attendant : beaucoup d’ouvrage, peu de plaisir et point de salaire !

Les habitants prirent cette plaisanterie en bonne part, et l’un d’eux répondit, s’inclinant jusqu’à terre :

— Pardonnez-nous tout de même, mon révérend père ; les œufs durs de Beauport sont mous comme

    frère Ambroise ; on ne sera pas obligé de vous secouer pour vous faire trouver les versets que les autres récitent et que vous avez perdus… Après tout, si vous êtes malades, faites miracle.

    Je m’en retournai, continua le frère Alexis, avec ces paroles consolantes ; et pendant quatre autres jours les œufs durs à toutes les sauces, ou sans sauces, continuèrent à pleuvoir sur notre table. Nous étions fiévreux comme des pestiférés, nous avions le visage enluminé comme des hommes pris de vin, les yeux brillants comme des escarboucles et le ventre tendu comme des tambours de basques. Force nous fut de nous rendre en corps chez notre supérieur, le père de Bérey, dont nous redoutions beaucoup les sarcasmes, pour lui porter plaintes.

    — Eh ! bien ! fit le père de Bérey, en nous examinant de son air narquois, qu’y-a-t-il ? que me voulez-vous ? vous marchez ployés en double comme si vous sortiez de recevoir la discipline dont vous n’usez pourtant guère, bande de lâches ! Vous vous tenez tous le ventre à deux mains, et vous faites des contorsions comme si vous aviez la colique.

    — Il y a, mon révérend père, lui dis-je, parlant au nom de tous, que nous sommes malades, très malades ; le cuisinier ne nous sert sur la table que des œufs durs depuis onze jours, et malgré nos plaintes réitérées, nous n’avons reçu pour toute réponse que de faire miracle.

    — Interpellé par le supérieur, frère Ambroise répondit : Faites miracle, mon révérend père, quand les frères ne rapportent de leurs quêtes que des œufs durs, il m’est impossible de les rendre aussi liquides que s’ils sortaient du poulailler.

    — Que veut dire cet insolent ? fit le père, avec son ton un peu soldatesque : oh ! oui, on t’en fera des miracles, double sot, des miracles pour un fainéant comme toi ! il en faudrait un fameux pour te donner de l’esprit !

    — Mais quand je vous dis, mon révérend père, dit le pauvre Ambroise, que les deux frères qui font la quête aux œufs n’ont apporté que deux quarts d’œufs bouillis et durs comme du fer. Venez, plutôt, voir vous-même.

    Après examen de ce qu’il restait des deux quarts d’œufs, nous fûmes convaincus, ajouta le narrateur, qu’ils avaient réellement été bouillis.

    — Je m’y perds, dit le supérieur. Que quelques personnes, plutôt