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Page:Kirby - Le chien d'or, tome I, trad LeMay, 1884.djvu/32

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le chien d’or

voix… Les bonnes femmes de Beauport vous envoient leurs compliments. Elles meurent du désir de voir les bons Récollets descendre chez nous. Les pères gris ont oublié le chemin de notre paroisse.

— Ah ! répliqua le supérieur, avec une feinte sévérité que trahissait, du reste, l’éclat joyeux de son regard, vous êtes une bande de misérables pécheurs qui mourrez sans confession… Vous ne vous en doutez pas !… Vos cœurs sont durs comme les œufs que vous donnez à mes frères quêteurs… Si vous saviez le mal que vous avez fait ! et la dépense de sel et de séné dont vous avez été la cause… Ah ! si le père Ambroise, notre cuisinier, pouvait mettre la main sur vous, une bonne fois, et vous faire tourner la broche à la place de ces pauvres chiens de Québec qu’il attrape comme il peut !…[1] Mais travaillez bien

  1. L’auteur fait ici allusion à deux anecdotes que rapporte M. De Gaspé dans ses Mémoires, pp. 73 à 83.

    La première est racontée au manoir de St. Jean-Port-Joly, par les frères Alexis et Marc qui y recevaient l’hospitalité du père de l’auteur. Nous en extrayons ce qui suit :

    « Comme nous ne mangeons que du poisson salé pendant l’hiver, le poisson frais étant trop cher, il est de règle qu’on nous serve des œufs pendant les quinze derniers jours du carême. Or, pendant le dernier, étant très fatigués de nos vivres salés, nous attendions avec hâte les bienheureux œufs. On nous sert, le dimanche, des œufs à la tripe, le lundi une farce d’œufs à l’oseille, le mardi des œufs à la coque, mais aussi durs que ceux dont on se sert pour faire les deux premiers mets. Bref, pendant sept jours, nous ne vîmes sur notre table que des œufs durs comme des pierres. Plusieurs de nous, commençant à en ressentir les inconvénients, il fut convenu que je ferais des représentations au cuisinier à ce sujet. J’aborde donc le frère Ambroise, l’homme le moins accostable de tous les cuisiniers de l’ordre de Saint-François, et je lui représente que nous sommes tous incommodés de ce régime indigeste, le priant, très poliment, de ménager à l’avenir le feu dans la cuisson des œufs destinés à notre table.

    — Vous êtes une bande de lâches, ennemis de la pénitence ! fit frère Ambroise. A-t-on jamais entendu, avant ce jour, un fils de Saint-François se plaindre de la nourriture de son couvent ?

    — Mais, cher frère, lui dis-je, nous sommes tous si fiévreux, que nous commençons à perdre le sommeil.

    — Vous n’en serez que plus éveillés pour chanter matines, dit le