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Page:Kirby - Le chien d'or, tome I, trad LeMay, 1884.djvu/396

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le chien d’or

tive en vieillissant, la passion des petites villes, où les amusements ne pleuvent jamais.

Ils étaient deux contre deux, et, riant, disputant, bataillant pour un enjeu de rien, pour les cartes, la main, les honneurs, ils jouaient depuis un quart de siècle, et auraient voulu jouer sans changer de partenaires, jusqu’au jugement dernier.

Pierre Philibert se rappela les avoir vus, dès ses premières visites au manoir, assis à la même table, et jouant les mêmes jeux avec le même entrain. Il en fit l’observation à madame de Tilly qui lui dit en badinant :

— Mes vieux amis sont tellement habitués à vivre avec les rois de carton du royaume de Cocagne, qu’ils ne trouvent plus de plaisir que dans les amusements des rois, même des rois fous.

III.

Amélie s’était assise auprès de Le Gardeur, et, dans sa fraternelle affection, elle déployait pour le distraire toutes les ressources de son âme et de son intelligence. Il aimait sa tristesse et voulait se plonger dans l’abîme de douleurs qui semblait l’appeler. Elle-même, elle éprouvait une vague inquiétude, une mystérieuse crainte, mais son sourire et sa parole enveloppaient comme d’un voile nuptial les larmes de son cœur.

Pierre l’écoutait ravi. Il aurait voulu se jeter à ses pieds pour la bénir et la remercier ! Ah ! c’était bien là cette divine créature qu’il avait tant de fois évoquée dans ses rêves d’espérance !

De temps en temps Le Gardeur souriait. La bénigne influence calmait son trouble et faisait glisser un rayon de lumière dans les ténèbres de son esprit.

Amélie s’aperçut que Pierre Philibert la regardait : elle comprit qu’il l’admirait et elle en éprouva de la confusion.

Une harpe reposait dans un coin du salon. Elle se leva et vint jouer, avec une apparente indifférence, mais, en réalité avec une émotion difficile-