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le chien d’or

III.

La poudre de succession était une poudre légère, presque impalpable, sans goût, sans odeur ; l’aqua tofana, un liquide aussi limpide qu’une goutte de rosée. Ce poison pouvait tuer instantanément ou petit à petit, et dans un nombre de jours, de semaines ou de mois marqué d’avance. La mort était aussi certaine dans un cas que dans l’autre, et la victime qui souffrait longtemps croyait mourir de la paralysie, de la phtisie ou de quelque fièvre dévorante, selon la manière dont la préparation était faite.

L’aqua tofana causait d’ordinaire la mort sur le champ ; la poudre de succession y mettait certains apprêts, des formes, du temps. Elle brûlait la poitrine ; le feu gagnait les yeux, qui devenaient horriblement éclatants, pendant que tout le reste du corps vivait à peine.

À l’apparition de ce poison terrible, la mort se glissa comme un esprit implacable, morne et silencieuse au foyer de maintes familles. L’amitié, la sollicitude veillaient inutilement ; les êtres les plus chers étaient mystérieusement frappés. L’homme aujourd’hui florissant de santé se demandait anxieusement s’il ne serait pas, le lendemain, cloué dans son tombeau. La science des médecins s’avouait vaincue.

Malheur aux heureux du monde ! Malheur aux riches, à ceux qui occupaient des positions lucratives, à l’homme qui possédait une belle femme !… à la femme qui pouvait faire des jalouses !… Le poison servait les déshérités, les envieux, les esclaves de la luxure ! Le soupçon, la crainte, la terreur venaient s’abattre sur le seuil des plus tranquilles maisons ! la défiance troublait les cœurs des époux ; les enfants ne savaient plus si le respect filial les rendait justes aux yeux des parents et les parents tremblaient pour leurs cheveux blancs…