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Page:Kirby - Le chien d'or, tome I, trad LeMay, 1884.djvu/94

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le chien d’or

III.

Bigot, l’intendant de la Nouvelle-France, occupait la place d’honneur. Son front bas, son œil vif, noir, petit, sa figure basanée, pleine de feu et d’animation, trahissaient en lui le sang gascon.

Il était loin d’être attirant ; dans l’inaction il était même laid et repoussant. Mais son regard avait une puissance redoutable. Il fascinait, il était plein de cet étrange éclat que donnent une volonté de fer, jointe à une grande subtilité. Il inspirait la crainte, s’il n’éveillait l’amour.

Néanmoins, quand il voulait essayer la douceur, — et il le faisait souvent — il manquait rarement de se gagner la confiance des hommes ; pendant que la tournure agréable de son esprit, sa courtoisie et ses manières galantes, avec les femmes, qu’il n’approchait jamais qu’avec la séduisante politesse apprise à la Cour de Louis XV, en faisaient un des hommes les plus dangereux de la Nouvelle-France.

Il aimait le vin et la musique, était passionnément adonné au jeu et aux plaisirs, possédait une brillante éducation, se montrait habile en affaires et fertile en expédients. Il aurait pu sauver la Nouvelle-France s’il avait été aussi honnête qu’il était habile ; mais il aimait la corruption et n’avait aucun principe. Sa conscience se taisait devant son ambition et son amour des plaisirs. Il ruina la Nouvelle-France par égoïsme d’abord, et ensuite pour ses protectrices, et pour la foule des courtisanes et des fragiles beautés de la Cour. En retour, par leurs artifices et leur influence auprès du roi, elles le faisaient maintenir dans sa haute position, malgré tous les efforts des honnêtes gens, les bons, les vrais habitants de la colonie.

Déjà, par ses fraudes et ses malversations, quand il était commissaire en chef de l’armée, il avait ruiné et perdu l’ancienne colonie de l’Acadie et, au lieu d’être traduit devant les tribunaux et châtié, il avait été élevé à la charge plus digne et plus importante d’Intendant royal de la Nouvelle-France.