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« Pourquoi ne vois-tu plus les formes, comme tu le faisais tout à l’heure, grossier globe de chair ? Combien ils s’abusent ceux qui s’attachent à toi, en disant : C’est moi !

Heureux ceux qui reconnaissent en toi un organe semblable à une boule, pur mais dépendant. Après qu’il eût prononcé ces paroles, Kunala obtint, à la vue de tout le peuple, l’état de Çrotâ apatti.

Kunala dit à l’exécuteur : au second œil maintenant ! Lorsque le bourreau l’eut posé dans sa main, Kunala prononça cette stance :

« J’ai perdu les yeux de la chair ; mais j’ai les yeux parfaits et irréprochables de la sagesse.

Le Roi m’a délaissé, mais je deviens le fils du Magnanime roi de la Loi ».

Je suis déchu de la grandeur suprême, source de tant de chagrins et de douleurs, mais j’ai acquis la souveraineté de la Loi qui détruit la douleur et le chagrin. »

Peu après, ayant appris que ce n’était pas son père, mais bien Tachya Kachita qui avait ordonné son supplice, Kunala s’écria :

« Puisse-t-elle conserver longtemps le bonheur, la Reine qui m’a procuré un si grand avantage !

Kantchana mala, l’épouse de Kunala, avertie à temps de son supplice, se fit jour à travers la foule et le trouvant tout sanglant, s’évanouit. Revenue à elle, elle s’écria en pleurant : ses yeux ravissants, en me regardant, faisaient mon bonheur ; maintenant qu’ils sont jetés à terre, je sens la vie abandonner mon corps.

Kunala la consola et il prononça cette stance : Ce monde est le fruit des œuvres, les créatures sont vouées au malheur ; les hommes sont condamnés à perdre ceux qui leur sont chers ; il faut, chère amie, sécher tes larmes.

Puis il reprit avec sa femme le chemin de Paliputra ; il lui fallut, le long de la route, mendier sa nourriture en chantant et s’accompagnant de la Vina.

À son arrivée, le roi Açoka voyant le malheur de son fils, tomba par terre.

Revenu à lui, il lui dit en pleurant :

« Aujourd’hui que tes yeux sont éteints, comment pourrai-je encore te donner le nom de Kunala ».