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Page:Langlois - La decouverte de l'Amerique par les Normands vers l'an 1000. Deux sagas islandaises, 1924.djvu/84

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la découverte de l’amérique

relatent surtout les hauts faits des Groenlandais, Leif, Thorvald, Thorstein, voire Freydis. Pour cette dernière, il y a évidemment un mélange de crimes et d’audace, dont Leif réprouve une partie, mais vis-à-vis desquels la plupart des contemporains ne devaient peut-être pas ressentir la même horreur. Nous sommes toujours parmi les pirates du Nord, pour qui le meurtre se rachetait par une faible amende.

Quelques pages seulement sont consacrées au voyage de Karlsefni. Ses aventures sont présentées d’une façon terne à côté des prouesses de celles de la famille d’Eirik. Tout y est facile, presque insignifiant. Le meuglement d’un taureau et un petit combat suffisent pour les débarrasser des Skroelings. On verra une image autrement dramatique de ces affaires dans l’autre Saga. En fin de compte, inquiet du voisinage de ces redoutables Indiens, Karlsefni préfère rentrer au pays après fortune faite.

En somme, la famille d’Eirik tient les grands rôles, celui de Karlsefni est plutôt diminué. N’était la conclusion, on aurait la complète impression que la Saga est un chant presque exclusivement à la gloire des Groenlandais.

Mais la susdite conclusion même peut n’être qu’une adjonction faite à l’époque où la Saga fut transcrite en Islande, alors que le Groenland commençait à tomber dans l’oubli et que, par contre, la famille de Karlsefni était en pleine grandeur. En tous cas, les quelques lignes de la fin ne modifient pas la tendance générale : la Saga d’Eirik le Rouge célèbre par dessus tout cet homme illustre et sa famille. Ne pouvant passer sous silence le rôle de Karlsefni, le scribe ne lui accorda qu’un minimum d’intérêt et lui enlève tout côté héroïque.

C’est précisément l’inverse qu’on verra dans la Saga qui suit, la Saga de Thorfin Karlsefni.