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Page:LeNormand - La plus belle chose du monde, 1937.djvu/108

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LA PLUS BELLE CHOSE DU MONDE

Frémissante, Lucette écoutait chanter en elle la joie de vivre, et buvait l’air à grands coups. Le ruisseau argenté, susurrant, coupait la sente. D’un saut elle aurait bien pu le passer, mais ayant ses souliers de bain, elle s’y engagea un moment. Avec cette sensation d’eau froide sur ses jambes nues, des heures de son enfance remontaient à sa mémoire. Elle revit un champ inondé après une pluie diluvienne, où elle avait connu la joie rare de canoter sur des planches. Cependant, que représentait l’étroit horizon de son enfance, au prix du présent magnifique ?

Elle aurait flâné plus longtemps. Mais regagner le Sanatorium l’amusait aussi. Certaines personnes l’intéressaient. Comme tous les jours, le dîner allumerait autour de la table, un feu roulant d’histoires et de moqueries joyeuses. L’interne serait revenu du bureau de poste. Peut-être recevrait-elle des lettres ? Elle constatait un peu scandalisée, qu’elle ne regrettait rien, ni personne ; mais recevoir des lettres lui plaisait toujours.

Elle ne discernait pas bien pourquoi tant de gens maugréaient contre la vie. De bon cœur, elle aurait pardonné à Vincent Le Tellier de se plaindre. Il marchait péniblement, ne pouvait jamais suivre les autres, souffrait des journées entières. Parfois, sa tristesse se manifestait ; le