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Douce, distraite, blonde et frêle, Claire Repentigny, perdue dans des songes sans fin, allait auprès de Monique turbulente et brusque, de Lucette expansive et gaie. Malgré les gestes, les bousculades, les agitations incessantes de ses amies, elle marchait toujours sans bruit, sans excitation. Elle ne manquait pourtant ni d’ardeur ni d’enthousiasme, mais chez elle le feu brûlait enfoui, sans flamme ; un peuple de sentiments et d’idées vivait intensément au plus profond de son esprit et de son cœur. Elle aimait les livres au point d’en perdre le boire, le manger, le sommeil ; elle se passionnait pour les héros qu’ils renfermaient, ressentait exagérément leurs joies, leurs chagrins, leurs amours. Ils hantaient son souvenir. Elle s’émouvait pour eux jusqu’aux larmes, désirait les avoir connus, avoir vécu dans les paysages où s’étaient écoulées leurs existences tragiques ou calmes.

Après avoir lu « Pêcheurs d’Islande », elle fut vraiment malheureuse toute une semaine de la mort de Yann. L’optimiste Lucette tentait en vain de la consoler ; la pauvre Gaud mourrait de peine et les époux se retrouveraient au ciel pour être éternellement heureux. Elle insistait :

— Remarque bien, ma chère Claire, que tu te tourmentes inutilement. Sur terre, ce matelot n’était pas précisément un homme doux