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Page:LeNormand - La plus belle chose du monde, 1937.djvu/43

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CHOSE DU MONDE
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En mai, dans ce fameux petit tailleur qui produisait sur elle l’effet radieux d’une robe de conte de fée, Lucette descendait souvent du haut de la rue Saint-Denis, chez Claire, avenue Laval. L’esprit en ébullition, elle poursuivait en elle-même des colloques qui prolongeaient ses rêves. Elle n’avait, à son vif regret, personne de réel à aimer, mais avec les figures masculines qui passaient brièvement, le beau cavalier de Sainte Agathe, par exemple — elle se forgeait un roman. Des incidents minuscules nourrissaient de grandes chimères. Lucette rougissait des bonds qui emportaient son esprit. Vraiment, quel enfantillage, quelle légèreté, de s’amuser ainsi.

Elle entrait chez Claire et tout de suite, se sentait prête à rire, à parler sans trêve, à dire des sottises. Elle s’enfonçait dans ce fauteuil de peluche verte qu’elle avait adopté, le meilleur de la pièce, du reste, capitonné, bas comme une bergère. Claire avait toujours des livres à lui prêter, et Lucette lui en rapportait qu’elles discutaient avec feu. Elles différaient invariablement d’opinions. C’était aux jours splendides de Bourget. Sans le comprendre entièrement, elles avaient lu « Le Disciple ». Claire y avait découvert de nouvelles raisons de gémir sur la vie. Lucette déclarait que la trame était tissée trop savamment. Elle tentait d’expliquer à Claire que la plupart des