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Page:LeNormand - La plus belle chose du monde, 1937.djvu/46

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LA PLUS BELLE

parlé. Elle s’en allait absorbée, sans rien voir ; ou, sous une subite et violente impression de bonheur, elle aimait tout ce qui l’entourait, même le bruit, la poussière, les maisons laides. Les rares arbres ressemblaient à des bouquets avec leurs feuillages neufs. C’était le printemps et elle portait son costume magique.


Mais chez elle, la porte refermée sur la rue, sa joie tombait. À la maison, elle se sentait isolée. Autant avec ses amies, elle dépensait de verve, autant avec sa mère, ses sœurs, elle devenait muette. Elle en souffrait sans pouvoir se vaincre. Ce n’était jamais à sa famille qu’elle confiait ses enthousiasmes. Personne ne lisait chez elle les livres qu’elle aimait, personne ne goûtait la musique qui lui plaisait. Quand on posait sur le phonographe des disques de chansons populaires, elle s’enfonçait les ongles dans la chair pour ne pas s’impatienter et laisser échapper des paroles qu’elle aurait ensuite regrettées. Elle ne voulait causer aucune peine à sa mère et à ses sœurs, parce que leurs goûts différaient des siens. Mais elle trouvait douloureux de se sentir ainsi comme une étrangère parmi ses proches. Elle se rappelait amèrement que, petite, déjà, aux mauvais moments, dans ses rêveries précoces, elle s’imaginait être une enfant adoptée. Rien n’avait changé