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Page:LeNormand - La plus belle chose du monde, 1937.djvu/66

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LA PLUS BELLE CHOSE

continuels, la médiocrité de sa fortune l’affligeaient. Elle se désolait ; ce magnifique sentiment qu’elle voulait inspirer, rien ne l’annonçait ; et les années passaient ; elle ne serait donc pas une héroïne de Gyp, elle n’aimerait pas devant un auditoire charmé ? À quoi bon déployer ses grâces pour des adolescents maladroits et sans expérience, incapables d’exprimer ce qu’ils pensent ? Si un homme lui plaisait, invariablement, elle apprenait le lendemain qu’il était déjà fiancé ou le seul soutien de sa famille.

Jamais un héros spirituel, beau, riche et libre, ne croisait sa route. De ses idées frondeuses de petite fille, elle conservait ce dessein : épouser un homme riche. Elle était lasse de la plaie d’argent de sa famille. Quand on lui taillait une robe neuve, dans les vieilles robes de ses sœurs, elle comparait cette toilette à celles qu’on étalait dans les vitrines, et pleurait de pitié sur elle-même. Elle ne serait jeune qu’une fois, elle ne serait jolie qu’un temps, et comment, sans fortune, mettre sa figure en valeur ?

Parfois, elle disait même à Lucette :

— Moi, si j’étais riche, je ne me marierais pas. Je voyagerais, je porterais des toilettes ravissantes, je ne penserais qu’à moi, quel délice ! Je ne m’embarrasserais ni d’un mari, ni d’enfants.