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Page:LeNormand - La plus belle chose du monde, 1937.djvu/80

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Ces repas en commun exigeaient une période d’acclimatation. Pour la première fois, Lucette vivait parmi des étrangers. Elle se sentit d’abord dépaysée. Chacun, cependant, se mettait vite à l’aise dans ce milieu hétéroclite. On y apprenait à ne pas s’occuper des autres : à être aimable sans dépenser d’énergie ; à subir les personnes moins agréables, en se moquant d’elles pour se dédommager ; à s’abandonner par ailleurs à de bien douces amitiés.

La veille, le train étant arrivé trop tard, personne n’avait apporté le courrier. L’interne proposa à Lucette de l’accompagner au bureau de poste. Elle accepta, impatiente de voir de plus près le village et le Rocher.

Pierre Frappier était-il, à vingt-deux ans, aussi sceptique et désabusé qu’il désirait le paraître ? La bouche marquée d’une moue amère, dans la jolie route blonde entre les champs verts et le long du grand champ bleu de l’océan, il parla à Lucette de la bêtise des gens parmi lesquels elle allait vivre.

— N’exagérez-vous pas un peu ? Ils n’ont pas l’air si sots, ils me plaisent presque tous, avoua naïvement Lucette.

— Attendez. Vous verrez mieux, quand vous les aurez observés pendant huit jours. Paquin, Letellier, Lacasse sont intelligents, mais nos Irlandais, comment les trouvez-vous ? et il y a en d’autres-