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Page:LeNormand - Le nom dans le bronze, 1933.djvu/12

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LE NOM DANS LE BRONZE

— Je me sens heureuse, ce soir. Et vous ?

— Moi aussi.

— Alors nous sommes en danger ! Quand on sent ainsi son bonheur, on est à la veille de le perdre…

— Vous devenez pessimiste.

Elle se contente de rire, en réponse, et tenace, le silence de nouveau s’abat entre eux. Ils vont jusqu’au bout du quai. Aucun navire n’est amarré là pour cacher l’horizon. Mais à vrai dire, il n’y a plus d’horizon : ils n’aperçoivent qu’un immense fond bleu où s’estompent des traits plus sombres, où jouent des reflets. À leurs pieds, le grand fleuve aurait l’aspect d’un rivage de mer, si, en face, sur la ligne imperceptible de l’île Saint-Ignace, quelques lampes dans les fermes n’étaient encore allumées. Le vent ne leur apporte plus, du débarcadère, que des rumeurs intermittentes. Ils sont isolés. Pour que l’amour s’affirme, il n’en faut pas davantage. Et cependant, ni l’un ni l’autre ne rompt un silence lourd d’émoi. Marguerite est heureuse sans doute, mais tapie au fond de son âme, une vague angoisse l’énerve. Pourquoi Steven, qui l’aime évidemment, ne se déclare-t-il pas ? Pourquoi en même temps,