Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/348

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caractère et point de passion ; l’esprit suffit, et il est peut-être préférable dans une monarchie, où il faut une marche uniforme, où le bonheur doit être préféré à la gloire ; et c’est parce que je crois que ce n’est ni la passion, ni le génie qu’il faut à un ministre français, que je pense qu’il n’y a point d’homme qui fût plus capable de nous bien gouverner que L. de T… Et je vous réponds qu’il n’y a point d’âme plus inaccessible aux passions. Ce n’est pas non plus pour l’énergie qu’il faut le louer : il a du caractère, beaucoup de lumières, une grande activité et une facilité et une amabilité qui aplanissent toutes les difficultés. Voilà ce que je réponds à tout ce que vous me disiez de M. T… ; il ressemble plus à Licurgue, et L. de T… au cardinal de Richelieu et à Colbert : car il n’aurait ni la force ni l’atrocité du cardinal. — Mon ami, vous recevrez cette lettre demain samedi, et sans doute ce sera la dernière, parce que je ne doute pas que vous ne partiez dimanche. Voici mes ordres : vous ferez un paquet de toutes mes lettres, vous y mettrez mon adresse, et ce seront vos mains qui le remettront dans celles de M. de Vaines, qui contresignera ce précieux dépôt. Vous partirez après, et vous ne m’écrirez point dans ce paquet, mais bien par la poste. Je veux savoir l’heure, le moment où vous quitterez Fontainebleau ; oui, j’ai un intérêt : où n’en met-on pas lorsqu’on aime ? Je vous ai bien dit que je ne me plaindrais plus, que je ne vous accablerais plus du poids de mes maux. Mais souvenez-vous bien que je ne me suis pas engagée à avoir une conduite parfaite, égale. Cela viendra peut-être : l’indifférence ne sera pas toujours impossible à mon cœur. Je dis donc que je ne vous ferai plus souffrir de mon malheur ; mais entendez bien que je ne serai ni assez courageuse, ni