Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/347

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eues de m’enrichir et d’augmenter, ou, pour parler plus juste, d’acquérir de la considération, de celle du moins que les sots distribuent et dont les têtes et les âmes vides font leur aliment. Bonjour, mon ami. J’entends le vicomte de S. Chamans. Je reprendrai après l’arrivée du facteur. J’espère, ou je crois que j’aurai une lettre de vous. Après avoir vu des indifférents tout le jour, vous serez rentré chez vous hier au soir, en disant : je vais faire quelque chose pour le plaisir de ce qui m’aime.


Vendredi, quatre heures, après l’arrivée de la poste.

Point de lettre de vous ! Savez-vous combien je suis juste ? Cela me fait haïr celles des autres. Qu’importe tout le reste, lorsque l’âme et la pensée sont fixées sur un seul point. Je conçois à merveille comment Newton a pensé trente ans de suite à la même chose, et le but qu’il se proposait ne vaut pas celui que je me promettais. Mon ami, aimer est le premier bien ; être aimée par ce qu’on aime, c’est être trop heureuse. Il y a eu des temps dans ma vie ! mais, mon Dieu ! que je suis tombée ! — Je n’ai point de lettre de vous ! C’est ma faute : M. de Vaines vous aura envoyé trop tard la lettre que je lui avais adressée. J’ai voulu vous suivre partout ; et vous ne vous êtes pas soucié de me prévenir. Pour se rencontrer sûrement, il ne faut pas s’attendre. — Mon ami, j’ai relu votre lettre d’hier trois fois tout de suite : ce que vous dites sur la différence de l’esprit et du génie est excellent, et de la plus grande éloquence ; la comparaison est de génie. Mais je ne pense pas comme vous, qu’il faille, pour gouverner, des gens pleins de passion. Il faut du