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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/353

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faire, et il a assez d’expérience pour ne les pas faire au hasard. Il vous a vu si jeune, vous étiez son fils, et l’on ne craint pas de se commettre vis-à-vis d’un jeune homme qu’on aime. Enfin je puis me tromper, mais je regarde ces premiers moments comme bien importants pour vous. Voyez, mon ami ; ne mettez ni fausse générosité, ni légèreté dans votre conduite. Je vous dis comme je vois. Je sais bien qu’il y a un degré d’intérêt qui trouble la vue ; mais vous êtes encore plus près de vous que je n’en suis, ainsi défiez-vous donc de vous-même. — Vous ne dites plus rien de vos affaires ; qu’est-ce que cela prouve ? sont-elles terminées comme vous le désirez ? ou y mettez-vous autant de négligence que M. le maréchal de Duras y met de légèreté ? Oh ! les excellents négociateurs ! — M. de Vaines me fait votre éloge, mais de la meilleure manière ; c’est son âme qui vous loue. Je vous dis cela pour vous prouver que vous ne l’avez pas blessé le jour que vous lui avez parlé de moi ; mais c’est moi que vous blesseriez actuellement, si vous reveniez à la charge. Mon ami, la première règle dans l’amitié, c’est de servir nos amis comme ils veulent l’être, fussent-ils les plus bizarres du monde : l’on doit avoir la délicatesse de se plier à leur volonté sur ce qui leur est directement personnel. Cela posé, ma manière, ma manie, si vous voulez, à moi, c’est de n’être servie par personne : je tiens compte des intentions, comme les autres tiennent compte des actions. Ainsi laissez donc là votre activité, portez-la sur d’autres objets : car, je vous le répète encore, vous m’offenseriez si jamais vous veniez à vous occuper de mes intérêts. Songez donc que, si j’avais voulu, je ne serais pas resté pauvre : il faut donc que la pauvreté ne soit pas le plus grand mal pour moi. Mon ami,