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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/354

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croyez-moi ; je dis toujours vrai, et je sais bien ce que je veux.

Vous ne m’avez point parlé des spectacles, vous ne me dites pas un mot de ce que vous faites ; vous n’avez pas besoin de causer, vous n’avez besoin que d’être partout, et de voir tout. Je voudrais que Dieu pût vous faire don de la puissance qu’il a d’être présent partout. Pour moi, je serais au désespoir d’avoir ce talent-là ; je suis bien loin de désirer d’être partout, car je voudrais bien n’être nulle part. Ah ! mon Dieu ! je voudrais avoir la chimère qu’a madame de Muy, je croirais avoir retrouvé le bonheur : elle est sûre qu’elle reverra M. de Muy ; quel appui pour une âme désolée ! — Il y a quatre ans dans ce temps-ci, que je recevais régulièrement deux lettres par jour de Fontainebleau. L’absence fut de dix jours : j’eus vingt-deux lettres ; mais c’est qu’au milieu de la dissipation de la cour, étant l’objet de la mode, étant devenu celui de l’engouement des plus belles dames, il n’avait qu’une affaire, il n’avait qu’un plaisir : il voulait vivre dans ma pensée, il voulait remplir ma vie ; et, en effet, je me rappelle que ces dix jours-là je ne sortis pas une fois : j’attendais une lettre, et j’en écrivais une. Ah ! ces souvenirs me tuent ! cependant je voudrais bien pouvoir recommencer, et à des conditions plus cruelles encore. Mon ami, si vous voyez le fond de mon âme, que vous devez me plaindre ! mais ne me le dites pas : c’est du courage que j’ai besoin ; oui, j’en ai besoin, je souffre cruellement. — Dites-moi si vous avez régulièrement des nouvelles de madame de ***. Avez-vous fait quelque chose pour ce qui l’intéressait ? vous ne me dites rien ; mais vous êtes si pressé ! — Est-ce que vous ne comptez pas suspendre votre travail sur le livre de M. Dumesnil-Durand ?