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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/356

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pensé à moi. Depuis cet instant, dites-moi donc au moins si vous avez reçu deux lettres de M. de Vaines, et une par la poste, l’une de mardi et deux d’hier. Quand j’ai vu toutes ces lettres de Fontainebleau, je n’ai pas mis en doute qu’il y en eût une de vous. Mon Dieu, que vous me rendez injuste ! mon premier mouvement est toujours de lire avec dégoût les lettres de Fontainebleau, lorsqu’elles ont trompé mon espérance. Eh ! non, non, ce n’est pas vous qu’il faudrait aimer : vous êtes d’une agitation, d’une évaporation qui ne permettent pas de compter sur vous. Je ne vous critique pas ; mais je me condamne par tout ce qui me reste de raison ou de force. — Les archevêques d’Aix et de Toulouse sont partis ce matin pour Fontainebleau. Mon ami, vous avez jugé l’état de ce dernier avec ce vif intérêt qui fait dire au comte de C.... que je me porte bien ; il est en bien mauvais état, et j’en suis bien inquiète : il a le meilleur régime, mais j’ai bien peur qu’il ne suffise pas contre son mal. Il est gai et même sans inquiétude : il tient peu à la vie, quoiqu’il n’ait guère senti le malheur. — J’admire votre justice, mon ami, lorsque vous blâmiez le choix du ministre, c’était M. Turgot qui l’avait fait ; depuis, après y avoir pensé, vous avez trouvé que c’était le plus excellent choix qu’on pût jamais faire ; ce n’est plus M. Turgot, c’est M. de Malesherbes. Tout comme il vous plaira, mais vous aurez bien de la peine à mettre dans ces deux têtes-là deux volontés : il n’y en a qu’une, et c’est toujours pour faire le mieux possible. Oh ! oui, je les aime ; et ce n’est pas le mot : je les chéris et les respecte du fond de mon âme. Ils ont eu l’honnêteté de me faire partager le plaisir qu’ils avaient du choix du roi. Ce n’est pas par reconnaissance que je tiens à M. Turgot : il oublierait que j’existe, que je me sou-