Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« À côté de ces deux princes, on voit au moins cent Altesses : roi de V..., grand-duc de M... Bourbons de N..., duc de B..., etc., etc. La société cannoise en est devenue folle. Il est facile de constater que ce n’est pas par la noblesse des idées que périra la no-blesse d’aujourd’hui, comme son aînée de 89 ».

Il me conte encore que de temps en temps tous ces princes vont rendre visite à leur cousin de Monaco. Alors la scène change dès la gare. Les Altesses qui daignaient à peine tendre un doigt, la veille, à leurs fidèles et très nobles serviteurs inclinés jusqu’à leurs genoux, sont bousculés par les commissionnaires, coudoyés et poussés par des commis-voyageurs, entassés dans des wagons avec les hommes les plus communs, les plus grossiers et les plus mal appris... Et la parole de Guy devient mordante : « Si on n’était prévenu, on s’apercevrait avec stupeur qu’il est impossible de reconnaître la distinction royale et la vulgarité bourgeoise. C’est là une comédie admirable, admirable... admirable... que j’aurais un plaisir infini, - vous entendez infini - à raconter, si je n’avais des amis, de très charmants amis, parmi les fidèles de ces grotesques ». Et il ajoute : « Le duc de Chartres lui-même est si gentil à mon égard que vraiment je ne peux pas : mais ça me tente, ça me démange... En tous cas, cela m’a servi à formuler ce principe, qui est plus vrai, soyez-en convaincue, que l’existence de Dieu : Tout homme qui veut garder l’intégrité de sa pensée, l’indépendance de son jugement, voir la vie, l’humanité et le monde en observateur libre, au-dessus de tout préjugé, de toute croyance préconçue et de