Aller au contenu

Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

change... et l’embarrasse. Il m’avoue : « Les chapitres de sentiment sont beaucoup plus raturés que les autres. Enfin ça vient tout de même. On se plie à tout, ma chère, avec de la patience ; mais je ris souvent des idées sentimentales, très sentimentales et tendres que je trouve, en cherchant bien ! J’ai peur que ça ne me convertisse au genre amoureux, pas seulement dans les livres, mais aussi dans la vie. Quand l’esprit prend un pli, il le garde ; et vraiment il m’ arrive quelquefois en me promenant sur ce cap d’Antibes, - un cap solitaire comme une lande de Bretagne, - en préparant un chapitre poétique au clair de lune, de m’imaginer que ces histoires-là ne sont pas si bêtes qu’on le croirait ».

Je lui demande s’il est à ce point converti qu’il ait renoncé à toute fréquentation mondaine. Il sourit : « Non ; je vais assez souvent à Cannes qui est aujourd’hui une cour ou plutôt une basse-cour de Rois. Rien que des Altesses. Et tout ça règne dans les salons de leurs nobles sujets. Moi je ne veux plus rencontrer un prince, plus un seul, parce que je n’aime pas rester debout des soirées entières, et ces rustres-là ne s’asseyant jamais, laissent non seulement les hommes mais aussi toutes les femmes perchées sur leurs pattes de dindes, de neuf heures à minuit par respect pour l’Altesse royale. C’est le prince de X qui serait fort beau avec la blouse bleue du marchand de porcs normand. C’est le comte de Z, un vrai serrurier, qui règne sur un peuple de nobles, faux ou vrais.

« Ici, les Anglais l’emportent de beaucoup sur les Français, en nombre et en fortune. Dans dix ans Cannes sera anglaise ou ne sera pas.