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Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/214

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sant devait joindre à ces qualités acquises ce don qui lui appartint en propre d’exciter l’émotion par la seule peinture des choses réelles en les imprégnant d’un frisson d’humanité. Si l’on parcourt les vers qu’il a produits pendant cette période on suit, pour ainsi dire, pas à pas sa transformation intellectuelle. Il renonce aux colifichets, aux bagatelles où se divertissait son adolescence ; il se dirige vers le réalisme, mais il passe par une phase intermédiaire qui est l’ironie hautaine et le mépris. Ce sonnet de 1872 est un modèle assez réussi de ce genre déclamatoire :

Quand on a contemplé l’insensible splendeur
Des astres scintillant dans la nuit infinie,
Quand on a su combien peut tenir de malheur
Du jour de la naissance au jour de l’agonie,
Quand on n’a pas trouvé le Dieu consolateur
Que la tendresse appelle et que la raison nie,
Quand on a reconnu le néant du génie,
Le néant de l’amour, ce mensonge enchanteur,
Quand on n’attend plus rien que la terre profonde,
Quand on a pénétré les coulisses du monde
Et vu le carton peint de ses illusions
Quand ce dégoût vous prend, qu’on appelle le doute,
On se couche épuisé sur le bord de la route,
« Passez votre chemin, les joyeux compagnons ».

Bientôt il glisse du dégoût à l’invective, il cherche la vigueur et atteint la violence. Il se déchaîne contre Paris, contre les turpitudes qu’il y découvre, contre le vice qui s’y étale impudemment. Il est très vertueux, du moins dans l’ intention, car ses peintures sont plutôt immodestes. Elles sont même en de certains endroits terrifiantes :