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Page:Lumbroso - Souvenirs sur Maupassant, 1905.djvu/268

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ses compatriotes que ses yeux s’empliraient des douces larmes de la joie et de la reconnaissance attendrie !

« Car - et j’arrive ici au fond même de l’âme de Maupassant, et à l’essence même de son talent d’écrivain - c’est injustement qu’on a voulu faire de lui je ne sais quel artiste impassible, incapable de sensibilité et d’émotion. C’est à tort qu’on a voulu qu’il fût un écrivain seulement « objectif », c’est-à-dire, pour parler une langue moins abstraite, incapable de ressentir les sentiments de ses héros et de livrer quelque chose de lui-même dans son œuvre, fût-ce, comme disait Dumas, un lambeau douloureux de son cœur. Une œuvre ne vivrait pas, où l’artiste n’aurait rien mis de lui, de son âme et de sa vie ! Ce qui est vrai, c’est que Guy de Maupassant se trouva être tout naturellement, dès la première heure, sans imitation, peut-être sans beaucoup d’étude, et d’instinct plus que de vouloir, de la grande école des écrivains classiques. Comme tel, il est de style clair, sobre ; acceptant l’image quand elle s’offre à lui, ne la cherchant pas quand même, la gardant comme esclave et jamais comme maîtresse et source de la pensée. Il a l’horreur de la déclamation, qui est le mensonge de la vigueur, et de la sensiblerie, caricature de la sensibilité. En cela, il est très près de cet autre Normand illustre, Mérimée.

« Mais, à l’heure où l’immortalité du marbre et du bronze est assurée à un écrivain, il entre à la fois dans la légende et la légende doit disparaître pour lui. Au visage de Maupassant, il faut ôter le masque d’insensibilité qu’on lui attribue trop aisé-